Faut-il « réveiller » l’importance du travail

Crédit Photo : Pierre-Yves Thienpont (Le Soir du 13/05/2023)

Dans un entretien qu’elle a octroyé au journal « Le Soir » ce samedi, la Ministre du budget déclare l’absolue nécessité d’un réveil de « l’importance du travail », et y ajoute son crédo de la nécessité de punir les chômeurs en leur imposant un différentiel de revenus de 500 euros minimum par rapport aux « travailleurs ».

Pour justifier sa position, la Ministre « OpenVLD-ex-MR-mais-encore-libérale-francophone-quand-même » explique que lors d’une rencontre avec des travailleurs sociaux de CPAS elle les a entendu déclarer de manière unanime que

travailler à temps plein ne permet plus aujourd’hui une émancipation systématique du CPAS

(Alexia Bertrand, citant des travailleurs sociaux de CPAS)

Je ne peux moi aussi qu’être d’accord avec le fait que cela est inacceptable. C’est nous renvoyer à Zola que de permettre à des employeurs de payer tellement mal leurs travailleurs qu’ils doivent faire appel à l’aide sociale.

Faut-il pour autant en déduire que la solution consiste à la création d’une pénalisation supplémentaire de ceux qui sont encore plus bas dans l’échelle des revenus ?

Car il faut reconnaître que les adeptes de la gouvernance par « le bon sens » sont généralement d’accord avec ce principe selon lequel une plus grande différence entre les revenus du chômage et ceux du travail sont un incitant pour chercher du travail lorsque l’on est sans emploi.

Accepter cette affirmation « de bon sens », c’est cependant s’absoudre d’analyser ce que plus de 10 ans de dégressivité des allocations de chômage nous montre très clairement. Rappelez-vous : le 1er novembre 2012 le gouvernement dirigé par Elio Di Rupo avait fait entrer en vigueur sa loi sur la dégressivité des allocations de chômage. Et en 2022, l’ONEM a voulu mesurer l’efficacité de la mesure. Et son analyse est sans appel:

On ne mesure pas de corrélation entre dégressivité et transition vers l’emploi depuis 10 ans. L’Onem souligne même que durant la crise du Corona la dégressivité a été gelée. C’est pourtant à ce moment-là qu’il y a eu le plus de remises à l’emploi parce que le marché du travail était dynamique.

rapport de l’ONEM, cité par la RTBF le 22 octobre 2022

L’ONEM est très clair dans ses conclusions,

 La sortie du chômage est avant tout liée à la situation économique et au marché du travail.

idem

Mais comme c’est généralement le cas avec ses co-religionaires libéraux, Mme Bertrand n’a cure des analyses sérieuses. Suivant la ligne imposée de l’extérieur du gouvernement par le patron… de la NVA, elle préfère faire appel au « bon sens ».

Pourtant, ne serait-ce pas du « bon sens » de se dire qu’il n’est pas normal qu’une personne sans emploi, à la recherche d’un travail et prêt à travailler (c’est la définition légale du chômeur, et celle que les « contrôleurs » et « activateurs » du Forem et d’Actiris font respecter à coup de sanctions) doive vivre sous le seuil de pauvreté. Après tout, le chômage est une assurance (il faudrait parfois le rappeler à nos ministres) et le chômeur a toujours travaillé pour y avoir droit (il n’existe pas de droit au chômage en Belgique pour quelqu’un qui n’a absolument pas travaillé. Même l’allocation d’insertion pour les jeunes qui ne trouvent pas d’emploi sont sujettes à la réussite d’un stage d’insertion professionnelle). Et pourtant, dans un pays ou le seuil de pauvreté pour une famille avec cohabitant et enfant est calculé à 2868 euros par mois (source : Statbel), le montant maximum des allocations de chômage pour un tel ménage sera de 2080 euros maximum (pendant les 3 premiers mois de son chômage). (source: ONEM).

Si donc l’on voulait absolument accroître le différenciel, si c’était tellement évident, pourquoi ne demande-t-on pas aux entreprises d’offrir un salaire minimum net plus élevé, par exemple de 500 euros, du montant des allocations de chômage ? Etonnamment , cette idée ne vient pas à la tête de Mme la Ministre et de ses amis libéraux du Nord et du Sud. Elle préfère faire jouer la fiscalité du travail en l’abaissant.

C’est ici qu’il est bon de rappeler l’impact social sur chacun d’entre nous d’une telle baisse de la fiscalité : elle devra être compensée par une hausse des taxes indirectes (en l’occurence la T.V.A.). Et comme par hasard dans le projet de nos amis libéraux, en rehaussant celle-ci pour les biens de base (qui passeront ainsi de 6 à 9%). Mais on sait aussi qu’il n’y a pas de mesure fiscale plus inégalitaire qu’une hausse des taxes indirectes, puisqu’elle touche tous les citoyens de la même manière, quel que soient leurs niveaux de vie respectifs. Ce sont donc bien les plus démunis et les classes moyennes qui vont « payer » cette réforme. Donc aussi les travailleurs dont on reprendra d’une main (la T.V.A.) ce qu’on leur aura donné de l’autre (par la baisse de la fiscalité). Finalement les seuls « vrais » gagnants – à coup sur – de l’affaire sont les entreprises qui elles aussi vont voir leur coût salarial baisser (ce qui, parions le, ne les incitera pas à baisser les prix des biens qu’elles mettent sur le marché pour compenser la hausse de la T.V.A.)

Après tout, le « bon sens » ne voudrait-il pas que nous vivions dans une société qui réduit ses inégalités au lieu de les augmenter ? Le « bon sens » ne voudrait-il pas que l’on se pose sérieusement la question de savoir comment il est possible de demander à 80% des adultes de travailler pour financer non pas les retraites, mais bien le « super confort » des 20% les plus aisés ?

Mais cela est sans doute inaudible pour Mme Bertrand.

Et si on continuait la conversation…

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